Le secteur agricole français se trouve à un moment charnière de son histoire énergétique. Avec l’électricité représentant 18 pour cent de la consommation énergétique des exploitations et des dépenses moyennes de 12 000 euros par an, soit 10 à 25 pour cent des charges totales, la question de la transition vers les énergies renouvelables devient centrale pour l’avenir des fermes. Cette mutation énergétique, bien qu’indispensable pour répondre aux enjeux climatiques, s’accompagne d’avantages indéniables mais également de défis à relever pour garantir une adoption réussie sur le terrain.
Les bénéfices des énergies renouvelables pour les exploitations agricoles
Autonomie énergétique et revenus complémentaires pour les agriculteurs
L’intégration des énergies renouvelables dans le modèle agricole représente une opportunité majeure pour améliorer l’autonomie des fermes face aux fluctuations du marché énergétique. Les sources d’énergie comme le solaire, l’éolien ou la biomasse permettent aux agriculteurs de devenir acteurs de leur propre production énergétique. L’installation de panneaux photovoltaïques ou de petites éoliennes offre ainsi la possibilité de couvrir une part significative des besoins en électricité de l’exploitation, réduisant par la même occasion la dépendance aux fournisseurs traditionnels.
L’énergie solaire se révèle particulièrement efficace dans cette démarche d’autonomie. D’après les données disponibles, une ferme laitière équipée de panneaux solaires peut réduire jusqu’à 30 pour cent de ses dépenses énergétiques annuelles. Cette économie substantielle améliore directement la rentabilité de l’exploitation en diminuant l’une des charges les plus importantes du budget de fonctionnement. Au-delà de l’autoconsommation, la production excédentaire d’électricité peut être revendue sur le réseau, créant ainsi un flux de revenus complémentaires qui contribue à diversifier les sources de revenus de l’agriculteur.
Les solutions d’agrivoltaïsme illustrent parfaitement cette double vocation productive. En combinant production agricole et production d’énergie sur une même surface, cette approche innovante permet de valoriser pleinement le foncier agricole. Le développement d’un projet agrivoltaïque nécessite entre 2 et 4 ans de préparation, mais la phase d’exploitation peut s’étendre jusqu’à 40 ans, garantissant une rentabilité sur le long terme. Les outils de modélisation actuels permettent même de simuler les bénéfices potentiels sur les cultures, offrant aux agriculteurs une vision précise des retombées attendues avant de s’engager dans l’investissement.
La valorisation des résidus agricoles par la production de biogaz constitue une autre voie de développement économique. Cette approche transforme ce qui était autrefois considéré comme un déchet en ressource valorisable, créant un cercle vertueux où chaque élément de l’exploitation trouve une utilité productive. Les fermes équipées de technologies renouvelables gagnent en résilience et en compétitivité face aux variations des prix de l’énergie, renforçant ainsi leur viabilité économique dans un contexte de marché incertain.
Un engagement concret pour la protection du climat et de l’environnement
La transition vers les énergies renouvelables dans le secteur agricole répond également à un impératif environnemental urgent. Le secteur agricole français est responsable d’environ 20 pour cent des émissions de gaz à effet de serre du pays, ce qui en fait un acteur majeur dans la lutte contre le changement climatique. L’adoption de sources d’énergie propres permet de réduire significativement cette empreinte carbone en remplaçant les énergies fossiles par des alternatives durables et respectueuses de l’environnement.
L’énergie solaire, éolienne, hydraulique et la biomasse offrent des solutions dont l’impact environnemental est considérablement réduit par rapport aux combustibles traditionnels. Ces sources d’énergie produisent peu ou pas d’émissions de dioxyde de carbone lors de leur exploitation, contribuant ainsi directement à l’atténuation du réchauffement climatique. La France s’est fixé des objectifs ambitieux pour 2030, visant notamment une réduction de 40 pour cent des émissions de gaz à effet de serre et une diminution de 35 pour cent de la consommation d’énergie primaire provenant d’énergies fossiles. Le secteur agricole, en tant que gros consommateur d’énergie, a un rôle essentiel à jouer dans l’atteinte de ces objectifs.
Les énergies renouvelables présentent l’avantage d’être abondantes et pratiquement illimitées. Contrairement aux ressources fossiles qui s’épuisent et dont l’extraction devient de plus en plus problématique sur le plan environnemental, le vent, le soleil et l’eau se renouvellent naturellement plus rapidement qu’ils ne sont consommés. Cette caractéristique fondamentale garantit la pérennité de ces sources d’énergie pour les générations futures, inscrivant l’agriculture dans une démarche de développement véritablement durable.
Au niveau national, les progrès sont déjà notables. En 2023, les énergies renouvelables représentaient 22,2 pour cent de la consommation finale brute d’énergie en France, avec une production ayant augmenté de 96 pour cent depuis 2005. Le mix électrique français intègre désormais 29,9 pour cent d’énergies renouvelables, dont 11,9 pour cent d’hydraulique, 10,3 pour cent d’éolien et 4,4 pour cent de solaire. Ces chiffres témoignent d’une dynamique positive qu’il convient d’amplifier, notamment dans le secteur agricole où le potentiel de déploiement reste important.
Les limites techniques et financières de la transition énergétique agricole

Intermittence de production et besoins en solutions de stockage
Malgré leurs nombreux avantages, les énergies renouvelables présentent des défis techniques qu’il est essentiel de prendre en compte pour assurer une transition réussie. Le principal obstacle réside dans l’intermittence de certaines sources d’énergie, notamment le solaire et l’éolien. La production d’électricité par ces moyens dépend directement des conditions climatiques, ce qui peut entraîner des variations importantes dans la disponibilité énergétique. Lorsque le soleil ne brille pas ou que le vent ne souffle pas suffisamment, la production chute, ce qui pose la question de la continuité de l’approvisionnement énergétique.
Cette intermittence nécessite la mise en place de solutions de stockage performantes ou la diversification des sources d’énergie pour garantir une alimentation électrique stable. Les systèmes de stockage par batterie, également appelés BESS, se développent pour répondre à cette problématique. Ils permettent de stocker l’électricité produite pendant les périodes de forte production pour la restituer lors des moments de moindre disponibilité. Cependant, ces technologies représentent un coût supplémentaire et nécessitent une planification rigoureuse pour être intégrées efficacement dans l’infrastructure de l’exploitation.
Il convient néanmoins de nuancer cette problématique d’intermittence. Certaines sources d’énergies renouvelables comme l’hydraulique, la biomasse ou la géothermie ne sont pas soumises à ces variations et offrent une production continue. La géothermie, bien qu’elle ne représente actuellement que 1 pour cent de la consommation finale de chaleur en France, constitue une option stable et prévisible. De même, la biomasse-énergie, qui représente plus de 55 pour cent de la production d’énergie finale renouvelable en 2020, assure une production régulière grâce à la valorisation des matières organiques végétales ou animales.
L’intégration des technologies renouvelables avec les équipements existants de l’exploitation constitue un autre défi technique. Les installations doivent s’harmoniser avec le système électrique en place, ce qui peut nécessiter des adaptations et des modifications des infrastructures actuelles. Une maintenance régulière est également essentielle pour garantir le bon fonctionnement et la longévité des installations, ce qui implique une formation des agriculteurs ou le recours à des prestataires spécialisés.
L’investissement initial : un frein pour les jeunes installations
Le principal obstacle à l’adoption des énergies renouvelables dans les exploitations agricoles reste le coût initial de l’investissement. L’installation de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes ou de systèmes de méthanisation représente des montants parfois considérables qui peuvent décourager les agriculteurs, en particulier les jeunes qui s’installent avec des ressources financières limitées. Bien que les coûts d’exploitation soient généralement faibles une fois l’installation réalisée, la barrière financière à l’entrée demeure un frein important à la généralisation de ces technologies.
Heureusement, diverses aides financières existent pour accompagner les agriculteurs dans cette transition. Le PCAEA, l’écoprime agricole, le plan biogaz, la prime à l’investissement en autoconsommation solaire photovoltaïque ou encore les subventions locales constituent autant de dispositifs de soutien permettant d’alléger le poids de l’investissement initial. Les agriculteurs doivent néanmoins se tenir informés de ces dispositifs et comprendre les critères d’éligibilité pour en bénéficier, ce qui demande un effort de recherche et de compréhension des réglementations en vigueur.
L’ADEME propose également des diagnostics énergétiques qui peuvent permettre de réaliser jusqu’à 50 pour cent d’économie sur un site. Ces analyses détaillées constituent un point de départ essentiel pour identifier les postes de consommation les plus importants et déterminer les solutions les plus adaptées à chaque exploitation. Une analyse approfondie des coûts et bénéfices est indispensable avant de s’engager dans un projet d’énergie renouvelable, afin de s’assurer de la rentabilité à moyen et long terme.
Malgré ces défis financiers, il est important de noter que les énergies renouvelables deviennent de plus en plus compétitives. En 2020, le prix de production d’électricité par les centrales à gaz combiné était de 60 euros par mégawattheure, contre 53 euros pour l’éolien terrestre et 49 euros pour le photovoltaïque au sol dans le sud de la France. Cette évolution favorable des coûts de production témoigne de la maturation technologique du secteur et laisse présager une accessibilité croissante pour les exploitations agricoles dans les années à venir.
Concilier production d’énergie verte et préservation des écosystèmes agricoles
L’occupation des terres et la cohabitation avec l’activité agricole
L’une des préoccupations majeures liées au déploiement des énergies renouvelables en milieu agricole concerne l’utilisation des terres. Les installations photovoltaïques au sol ou les parcs éoliens peuvent occuper des surfaces importantes qui pourraient autrement être consacrées à la production agricole. Cette question de la compétition foncière soulève des interrogations légitimes sur la meilleure façon d’optimiser l’utilisation des espaces disponibles sans nuire à la vocation productive des exploitations.
L’agrivoltaïsme répond en partie à cette problématique en permettant une double valorisation des terres. Les haies solaires pour grandes cultures ou bovins, ainsi que les ombrières solaires pour ovins et bovins, illustrent cette approche où production agricole et production énergétique coexistent sur un même espace. Les serres photovoltaïques représentent également une solution innovante qui protège les cultures tout en générant de l’électricité. Ces systèmes démontrent qu’il est possible de concilier les deux activités sans sacrifier l’une au profit de l’autre.
Le développement des infrastructures énergétiques soulève également des questions paysagères. Les éoliennes, par leur taille imposante, modifient le paysage rural traditionnel, ce qui peut générer des réticences de la part des populations locales ou des associations de protection du patrimoine. Le développement des parcs éoliens est aujourd’hui encadré pour éviter les nuisances visuelles et sonores, avec des études d’impact réalisées avant chaque projet pour limiter les désagréments. La loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables promulguée le 10 mars 2023 vise justement à faciliter l’installation et le développement des énergies renouvelables tout en garantissant le respect des contraintes environnementales et sociales.
La planification territoriale joue un rôle crucial dans cette harmonisation. Une réflexion collective impliquant agriculteurs, collectivités locales et acteurs du développement durable permet d’identifier les zones les plus propices à l’installation d’équipements énergétiques tout en préservant les terres à forte valeur agronomique. Cette approche concertée garantit que la transition énergétique se réalise dans le respect des équilibres locaux et des spécificités de chaque territoire.
Gestion des déchets et protection de la biodiversité locale
L’impact environnemental des énergies renouvelables ne se limite pas à leur phase d’exploitation. La production de déchets en fin de vie des équipements constitue un enjeu qu’il convient d’anticiper dès la conception des projets. Les panneaux photovoltaïques, les pales d’éoliennes et les composants électroniques contiennent des matériaux dont le recyclage doit être organisé pour éviter une pollution future. Contrairement à certaines idées reçues, la plupart des énergies renouvelables n’utilisent pas de terres rares. Seule une petite proportion du parc éolien français utilise des aimants permanents à base de terres rares, limitant ainsi les problématiques liées à l’extraction de ces ressources critiques.
La protection de la biodiversité locale représente un autre aspect fondamental de la transition énergétique en milieu agricole. Les parcs éoliens peuvent avoir un impact sur les oiseaux et les chauves-souris, tandis que les installations au sol peuvent modifier les habitats naturels. Des études d’impact sont systématiquement réalisées avant l’implantation de nouveaux équipements pour évaluer ces risques et mettre en place des mesures d’évitement ou de compensation. Des investissements importants sont consacrés à ces recherches, à l’image des 3 millions d’euros investis par certains acteurs dans une étude sur l’impact des parcs éoliens offshores sur les oiseaux marins.
La valorisation de la biomasse agricole doit également être menée de manière raisonnée pour ne pas appauvrir les sols. Les résidus agricoles jouent un rôle important dans la fertilité des terres en apportant de la matière organique. Un prélèvement excessif pour la production énergétique pourrait compromettre la santé des sols à long terme. Une gestion équilibrée doit donc être mise en place pour garantir que la production de biogaz ou de bioénergie ne se fasse pas au détriment de la qualité agronomique des terres.
L’ensemble de ces considérations montre que la transition énergétique dans le secteur agricole nécessite une approche globale et nuancée. Si les avantages économiques et environnementaux des énergies renouvelables sont indéniables, leur déploiement doit être pensé de manière à minimiser les impacts négatifs potentiels. Avec une planification appropriée, un accompagnement financier adapté et une prise en compte des spécificités locales, les exploitations agricoles peuvent devenir des acteurs majeurs de la production d’énergie verte tout en préservant leur vocation productive première. Le secteur des énergies renouvelables employait déjà près de 82 500 équivalents temps plein en France en 2021, et cette dynamique devrait s’amplifier dans les années à venir, créant de nouvelles opportunités pour les territoires ruraux et contribuant à l’objectif national d’atteindre 33 pour cent d’énergies renouvelables dans la consommation brute d’énergie d’ici 2030.
















